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24 avril 2009

crise de suez

L’Egypte, ancien protectorat britannique, a acquis officiellement son indépendance en 1922. C’est une monarchie théoriquement autonome, mais où la présence occidentale reste forte. Dans la réalité, le pays, qui n’a pas encore développé son industrie touristique est économiquement aux mains des occidentaux. La principale source de revenu du pays, le Canal de Suez est entre les mains d’un consortium franco-britannique qui l’a fait construire au XIXème siècle et récolte de juteux droits de passage pour tous les bateaux qui transitent par ce point. 50 % du pétrole vers l'Europe passe par ce canal. Il ne reverse qu’une part infime de ces bénéfices à l’état égyptien. 

En 1954, un groupe de jeunes officiers ambitieux renverse la monarchie corrompue du roi Farouk Ier. Parmi ces militaires émerge la figure de Gamal Abdel Nasser, jeune lieutenant-colonel qui s’illustra lors de la guerre israélo-arabe de 1948 et qui revendique la nécessité d’une union des peuples arabes ainsi qu'une certaine méfiance envers un Occident accusé de soutenir Israël, sans toutefois succomber aux sirènes du communisme.

             Nasser proclamant la nationalisation du canal aux Egyptiens


Devenu président en 1954, Nasser, est une figure charismatique qui devient le porte étendard du nationalisme arabe
, laïque car partisan d’un islam contrôlé par un pouvoir politique fort, moderniste et favorable à une solidarité avec le tiers monde. En 1955, à la conférence de Bandung, il est un de ceux qui soutient l’idée de trouver une voie originale entre Etats-Unis et URSS pour les pays nouvellement décolonisés.

Pour trouver cette liberté politique, il faut l’indépendance économique. C’est la raison pour laquelle Nasser envisage un grand projet qui doit permettre la croissance agricole et la modernisation de l’Egypte à pas de géant. Un projet pharaonique (c’est le cas de la dire) : la construction d’un gigantesque barrage à Assouan dans le Sud du pays qui doit canaliser les eaux du Nil pour permettre de contrôler ses crues et de développer l’agriculture intensive (notamment de coton) ainsi que de fournir le pays en électricité. Il existait bien un vieux barrage construit par les britanniques au début du siècle mais celui-ci ne répondait plus aux besoins du pays.

Construire le plus grand barrage de son temps coûte cher et Nasser démarche les banques anglo-américaines sans succès. Pourtant les américains avaient soutenus par le passé ce jeune militaire prometteur mais celui-ci manifeste un peu trop d'indépendance par rapport aux Etats-Unis, notamment en nouant des accords commerciaux avec certains pays du bloc de l'Est. Les banques, poussées par le gouvernement américain qui veut donner une leçon à un Nasser dont les positions trop libres par rapport aux deux blocs irritent, veulent imposer une surveillance budgétaire étroite de l'état égyptien. Les soviétiques acceptent secrètement d’apporter leur aide au projet, mais le problème du coût financier demeure. C’est la raison pour laquelle en juillet 56, Nasser décide de nationaliser la principale ressource de l’Egypte : le canal de Suez. L’armée égyptienne prend possession du canal et bloque la circulation notamment des bateaux israéliens désormais interdits de passage.


"La pauvreté n'est pas une honte, mais c'est l'exploitation des peuples qui l'est.
Nous reprendrons tous nos droits, car ces fonds sont les nôtres, et ce canal est la propriété de l'Egypte. (...) Nous construirons le Haut-Barrage [d'Assouan] et nous obtiendrons tous les droits que nous avons perdus. Nous maintenons nos aspirations et nos désirs. Les 35 millions de livres [monnaie égyptienne] que la Compagnie encaisse, nous les prendrons, nous, pour l'intérêt de l'Egypte. (...)
En quatre ans, nous avons senti que nous sommes devenus plus forts et plus courageux, et comme nous avons pu détrôner le roi le 26 juillet [1952], le même jour nous nationalisons la Compagnie du canal de Suez. Nous réalisons ainsi une partie de nos aspirations et nous commençons la construction d'un pays sain et fort.
Aucune souveraineté n'existera en Egypte à part celle du peuple d'Egypte, un seul peuple qui avance dans la voie de la construction et de l'industrialisation, et un bloc contre tout agresseur et contre les complots des impérialistes. (...) Nous sommes aujourd'hui libres et indépendants.
Aujourd'hui, ce seront les Egyptiens comme vous qui dirigeront la Compagnie du canal, qui prendront consignation de ses différentes installations, et dirigeront la navigation dans le canal, c'est-à-dire dans la terre d'Egypte."
Nasser, lors de la nationalisation du canal (source : Cliotexte)

Pour les britanniques et les français, c’est une atteinte intolérable à leurs droits. Encouragé par les milieux d'affaire, le Premier Ministre anglais, Anthony Eden fait le rapprochement entre le nationalisme arabe et le fascisme d'avant guerre et n’hésite pas à surnommer Nasser, le "Mussolini du Nil". Rapidement l’idée de récupérer le canal par la force se fait jour. Pour les français, cela permettrait aussi de frapper un pays qui soutient ouvertement les indépendantistes algériens et qui n’hésite pas à les ravitailler en armes.

La politique nationaliste de Nasser met l'accent sur la lutte contre l'état hébreu pour soutenir les palestiniens et comme  l'Egypte achète massivement des armes, notamment auprès de la Tchécoslovaquie communiste, l'idée d'une frappe préventive fait son chemin à Tel Aviv. Le Premier Ministre David Ben Gourion, (le vieux lion israélien comme on le surnomme à l'époque) en a fait une doctrine: désormais le peuple juif "ne se laissera pas conduire au massacre comme du bétail". A Sèvres, dans la banlieue parisienne, une réunion secrète permet aux anglais, aux français et aux israéliens d’établir un plan visant à récupérer le Canal et à chasser Nasser du pouvoir.



La presse française plus modérée que ses confréres anglais mais qui n'hésite pas à lier Nasser aux neonazis allemands.

Israël doit donc attaquer l'Egypte sur le canal. La France et la Grande Bretagne ordonneraient alors aux belligérants d'évacuer la zone et pour appuyer cette injonction expédieraient une  "force d'interposition" pour récupérer Suez et en profiter pour renverser le gouvernement.

L'affaire est rondement menée. Le 29 octobre 1956, l’armée israélienne traverse le désert du Sinaï et fond sur le Canal détruisant par surprise les infrastructures militaires égyptiennes. Aussitôt une escadre franco-britannique forte de 155 navires arrive sur place et somme les deux belligérants d’évacuer Suez. Comme Nasser refuse logiquement de partir, les troupes occidentales bombardent Port Saïd, débarquent et mettent en déroute ce qui reste de l’armée égyptienne avant de commencer à se diriger vers le Caire.

Si sur le terrain, l’offensive est une victoire, sur le plan diplomatique, l’affaire tourne vite à la catastrophe pour les franco-britanniques. L’ONU où les pays issus de la décolonisation ont un poids croissant appelle à la fin des combats et tape du poing sur la table. Elle crée même une armée multinationale spéciale la Force d’Urgence des Nations Unies pour séparer les combattants. Pour être reconnue plus facilement les casques de ce bataillon seront peints en bleus. C’est la création réelle de l’armée de l’ONU qui prendra logiquement le nom de " Casques bleus ".





 



L'armada française vers Suez (photo issue du site d'un militaire ayant participé à cette opération)


L’URSS logiquement soutient l’Egypte et menace même de recourir à l’arme nucléaire (un bluff car il savent que l’OTAN riposterait). Pour elle, cette crise arrive à point nommé car elle permet d’occuper les caméras du monde entier pendant qu’elle écrase dans le même temps la révolte hongroise. Plus surprenant les Etats-Unis, décidé à ne pas apparaître comme soutenant trop ouvertement les puissances colonisatrices, ordonnent à la France et à la Grande Bretagne de se retirer et pour appuyer leur décision font chuter le cours de la Livre Sterling à la bourse de New York.

Isolés, déconsidérés, les occidentaux doivent partir et Nasser sort diplomatiquement grandi de ce conflit. Il apparaît comme le leader arabe capable de tenir tête à l’occident, favorisant la cause du Tiers Monde. Malgré la défaite militaire, il devient un modèle pour tout le monde arabe et peut construire son barrage avec l’aide des soviétiques.

Israël a durablement affaibli le potentiel militaire de l’Egypte et en a profité pour s’emparer de la bande de Gaza et du désert du Sinaï tout en développant un partenariat économique et militaire avec la France qui lui permettra de moderniser son armée et à terme de créer avec l’aide de notre pays sa propre bombe atomique. Mais cela amplifie les tensions entre juifs et arabes, l’importante communauté juive égyptienne, pourtant présente depuis l’antiquité est désormais vue comme un groupe de traître à la solde d’Israël par le pouvoir égyptien et doit fuir précipitamment le pays.

Caricature soviétique montrant le lion britannique et le coq français ridiculisés par le sphynx égyptien.

L’équilibre des forces au sein du camp occidental est profondément bouleversé. Les Etats-Unis ont bien fait comprendre aux européens qu’ils sont désormais les seuls vrais patrons du bloc occidental. Les anglais, qui du temps de Churchill pouvaient paraître les co-leaders de l’Ouest vont désormais se ranger aux ordres de Washington. De son côté, la France commence à vouloir développer sa propre défense autonome, politique amplifiée lors de l’arrivée de de Gaulle au pouvoir en 1958.

Au passage la fragilité du commerce mondial apparaît aussi à ce moment là car 40 bateaux ayant été coulés dans le Canal il faudra un an pour que les égyptiens puissent rouvrir celui-ci. Le commerce pétrolier s’en trouve désorganisé et les prix du carburant flambent.

 

               Les navires coulés par les égyptiens pour bloquer le passage du canal

Cette crise marque donc à la fois l’émergence des pays issus de la décolonisation dans la politique internationale, l’essor de l’ONU qui apparaît enfin légitime pour régler les conflits mondiaux mais aussi l’affaiblissement de l’Europe face aux deux grands qui contrôlent désormais la diplomatie mondiale.

            L'ONU s'installe durablement dans la région pour essayer de garantir la paix.

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